• Transsexualisme: du syndrome aux symptômes


    Samedi 21 Janvier 2017 à 22:33
    zephylyne

    Transsexualisme : du syndrome au symptôme par Hervé Hubert 

     

    Le syndrome transsexuel en tant que syndrome médical est récent dans l’histoire de la médecine puisque sa définition faite par l’endocrinologue américain Harry Benjamin date de 1953. « Les vrais transsexuels ont le sentiment qu’ils appartiennent à l’autre sexe, ils veulent être et fonctionner en tant que membres du sexe opposé, et pas seulement apparaître comme tels. Pour eux leurs organes sexuels, primaires (testicules) aussi bien que secondaires (pénis et autres), sont de dégoûtantes difformités devant être changées grâce au bistouri du chirurgien… Ce n’est qu’à cause des récentes et grandes avancées de l’endocrinologie et des techniques chirurgicales que le tableau a changé.

     

    La caractéristique principale du syndrome repose sur la conviction : il s’agit, chez un sujet dont la physiologie est normale, de la conviction d’appartenir à l’autre sexe. Cette conviction, souvent issue de l’enfance, est constante et donne lieu à l’âge adulte à des manifestations telles que le travestissement, d’abord privé puis public, et à des demandes de traitements hormonaux et chirurgicaux qui permettent de rectifier l’apparence corporelle. Dans la suite logique vient alors pour le sujet la demande de rectification de l’état civil. Il s’agit du traitement de réassignation. Ce syndrome donne un aspect exceptionnel tant dans son approche clinique que dans ses conséquences et inclut par son existence une dimension éthique qui n’a pas d’équivalent. En effet, le transsexualisme interroge de façon fondamentale ce qui est appelé communément l’identité sexuelle, bouleversant les limites antérieurement admises de l’être humain quant à une appartenance à un sexe.

     

    Le psychanalyste américain, Robert Stoller, dans Sex and Gender en 1968, décrira le syndrome la première fois pour la psychanalyse. Il donnera à partir de cet outil une nouvelle dynamique au concept, révisant la théorie graduée du gender de John Money issue de l’étude l’hermaphrodisme qui amenait à classer le transsexualisme comme un trouble extrême de l’homosexualité. Robert Stoller qui se prévaut d’un retour à Freud pour sortir la psychanalyse de la sclérose élabore le concept d’identité de genre dont le premier niveau est la féminité primordiale, fondamentale pour les deux sexes, conséquence de l’union symbiotique primitive avec la mère. Le transsexualisme masculin démontre cette féminité primordiale par la fixation à ce premier niveau. Les études de Robert Stoller, d’une richesse clinique remarquable, sont inspirées au niveau théorique de l’école de Margaret Malher qui privilégie le développement de la symbiose mère-enfant. Cela en donne également les limites. Ce qui nous paraît à souligner est que Stoller fait du transsexualisme une entité nosographique autonome, distincte de la psychose, de la névrose et de la perversion, trépied clinique classique pour la psychanalyse. La clinique du gender qui a polarisé la recherche psychanalytique fait cependant l’impasse sur la question de la jouissance subjective telle que Lacan a pu en parler dans la dernière partie de son enseignement.

     

    Quel syndrome ?

     

    La question d’une unité clinique se pose. Ainsi Jean-Claude Maleval résume une opinion à ce sujet souvent partagée par les psychiatres : « Pour ceux qui, plus récemment appréhendent le syndrome transsexuel à partir du sujet de l’inconscient, il apparaît ne pas être corrélé à une structure précise. Il ne s’agit que d’une formation imaginaire et dans le cadre d’une clinique structurale aucune formation imaginaire n’est spécifique. Chez certains ce syndrome semble s’insérer dans un fonctionnement névrotique, chez d’autres il s’associe à une perversion (masochisme, fétichisme, transvestisme…) ; enfin, dans ses formes les plus caractéristiques il s’agit en général d’un phénomène psychotique   J.-C. Maleval, « Le syndrome transsexuel », dans Spicilège,.... » Aussi l’auteur évoque-t-il dans son étude de l’évolution historique du syndrome transsexuel, la notion de syndrome éclaté qui évoluerait depuis 1980.

     

    Cette approche livre d’après notre expérience clinique les limites de l’outil du syndrome, notion dont l’esprit de progrès et de stimulation est pourtant noté dans le classique manuel le Vocabulaire de psychiatrie dirigé par Antoine Porot (p. 679-680). Il paraît intéressant de s’arrêter sur la problématique dégagée dans ce manuel dont la référence est la psychiatrie classique, nosographique. La vertu du syndrome serait de témoigner du dynamisme de la recherche et de rendre plus souples et plus perméables les limites entre les grandes entités nosologiques, et permettant le retour à une pathologie « humanisée, plus synthétique, plus hippocratique » d’après Henri Ey cité dans le Vocabulaire. Le syndrome est une notion assez employée en clinique, définie ainsi par Dupré : « Un syndrome est un groupement nosographique fondé sur la coexistence habituelle et la subordination logique des symptômes ; c’est un tout, une unité clinique, dont les éléments sont rapprochés entre eux par des liens d’affinité naturelle. » Nous relèverons pour notre réflexion la question de subordination logique des symptômes. Guiraud, cité dans le Vocabulaire de psychiatrie confirme cet aspect : « Un syndrome n’est pas une juxtaposition de symptômes fortuite… La solidarité des symptômes ne s’explique que quand on a trouvé la clé pathogénique. » Le syndrome s’oppose à l’isolement d’entités morbides, « tentation ambitieuse et toujours stérile, surtout en psychiatrie » ; elle s’oppose aussi à la description isolée du symptôme, sur laquelle elle marque un progrès (Dupré). Enfin il est noté que dans l’histoire de la pensée psychiatrique, l’apparition du syndrome marque le moment où, passant du nom propre de l’entité maladie à l’adjectif, « la désignation et la classification, le langage et la nature cessent d’être entrecroisés de plein droit » (Michel Foucault). L’auteure de l’article syndrome du Vocabulaire, M.-L. Lacas-Mondszain conclue après cette citation de Foucault « ce qui réserve dans l’espace de la science la place d’un invisible qui anime et sous-tend ces formes d’organisation visible du symptôme » Il est fait appel à un au-delà du scopique.

     

    Quels problèmes sont donc identifiables dans cette contradiction de l’éclatement et de l’unité ? Nous pouvons évoquer tour à tour à propos du syndrome transssexuel les limites de la nosographie psychiatrique classique, le flou du concept de gender, et le rattachement erroné du transsexualisme à une formation imaginaire. Cela se conjugue dans la pratique à un certain nombre de difficultés. La première difficulté est de pouvoir définir et évaluer la conviction. En effet, la force et la constance de cette conviction sont déterminantes dans la décision thérapeutique. Elle est ramenée à une croyance du sujet, celle d’être de l’autre sexe, et à la mesure subjective de ses répercussions dans les comportements de la vie sociale quant à la féminité ou masculinité alléguée. Ce qui est joint à cette question est celle du rapport à la psychose, question d’importance puisqu’il suffit pour le sujet d’en être dit psychotique pour qu’aussitôt la solution hormono-chirurgicale soit réfutée. La seconde difficulté concerne la variété des phénomènes cliniques rencontrés. Certains transsexuels ont un sentiment étrange d’être de l’autre sexe depuis l’enfance, d’autres bâtissent cette conviction plutôt à l’âge adulte, parfois après s’être mariés, avoir eu des enfants. Ce qui est appelé, respectivement transsexualisme primaire et secondaire, n’est pas sans incidence thérapeutique et éthique là non plus.

     

    Du syndrome au sinthome

     

     

    Ce rapport nouveau au syndrome, issu des évolutions culturelles, se conjugue au flou entretenu par la théorie du gender, la prévalence de l’imaginaire dans la conception des théories et la tendance à l’effacement de l’expérience subjective. Là encore, il y a rencontre avec les problématiques de la société actuelle. Dans le processus médical de changement de sexe la réponse à des standards préétablis est de règle et la mise en place de protocoles ne laisse pas de place à la dimension du sujet de l’inconscient. Cela pousse le sujet au retranchement d’éléments de son histoire. Notre hypothèse est que cela vient directement en écho avec une logique subjective où cette question du retranchement prédomine. Cet obstacle de l’imaginaire se rencontre dès lors que l’on aborde ce problème de la transformation corporelle qui a de telles incidences sur les représentations symboliques. Cet effet est constaté du point de vue historique dès les premières opérations de changement de sexe. Ainsi dans son ouvrage Sex changes  P. Califa, Sex Changes – the Politics of Transgenderism,...  Pat Califa insiste sur l’effet médiatique mondial de la transformation de George Jorgensen, ancien gi, photographe, en Christine Jorgensen. Le réel de la médiatisation de cette transformation a d’ailleurs été premier, 1952, la conceptualisation du syndrome s’y raccordant, seconde, 1953. Le show a précédé l’élaboration conceptuelle.

     

    Le transsexualisme vient donc faire pavé dans la mare de la nosographie clinique : ni névrose ni psychose ni perversion si l’on suit les définitions du syndrome selon Benjamin et Stoller, syndrome éclaté entre les trois registres de névrose, psychose et perversion, si l’on suit Maleval, psychose toujours si l’on suit la majorité des psychanalystes lacaniens, tel Marcel Czermak qui indique : « Nous partons de la doctrine que ce qu’on appelle le transsexualisme pur, typique, primaire, n’est qu’un cas local de la question générale du transsexualisme, présent dans toutes les psychoses   M. Czermak, « Le cas Amanda », dans Sur l’identité...  . » D’une certaine façon, le transsexualisme est symptôme du monde contemporain. Il nous indique la nécessité de trouver d’autres modes de pensée pour saisir la logique du réel auquel nous sommes confrontés. Ni la nosographie classique, ni l’instrument du syndrome, ni le trépied « Névrose, Psychose, Perversion », ni le premier enseignement de Lacan, nous donnent les moyens de répondre aux difficultés rencontrées. Retenons que la fonction de l’image et de l’imaginaire, donc du scopique, est au centre des difficultés.

     

    La rencontre avec des sujets transsexuels dans la pratique professionnelle a orienté notre travail vers la question de la jouissance singulière de ces sujets dits transsexuels et nous a fait saisir en fin de compte l’outil du sinthome pour tenter d’éclairer la problématique. Le sinthome, en effet n’enferme pas la question transsexuelle, la question clinique, dans la classification d’une entité préétablie pour reprendre la question sous-jacente au concept de syndrome. Catherine Millot est la première, il convient de le souligner, a avoir utilisé l’outil du sinthome et ce de façon très précoce dans son ouvrage Horsexe en 1983. Reprenons ses conclusions « Le symptôme transsexuel fonctionnerait comme suppléance du Nom du Père, pour autant que le transsexuel viserait à incarner La Femme   C. Millot, Essai sur le transsexualisme, Horsexe, Paris,...  » et surtout « à défaut du nouage par le nom du père, rsi seraient libres s’ils n’étaient pas noués par un quatrième qui consiste dans l’identification du sujet à La Femme. Mais ce quatrième ne fait tenir ensemble que l’Imaginaire et le Symbolique. Le Réel, en revanche ne se trouve pas noué, et la demande du transsexuel consiste à réclamer qu’en ce point soit faite la correction qui ajusterait le Réel du sexe au nœud I et S   ».

     

    Notre thèse est différente  H. Hubert, Transsexualisme, du syndrome au sinthome,...  . L’outil du sinthome y est utilisé pour extraire de l’expérience clinique la subordination logique des symptômes, la logique qui est à l’origine du plus-de-jouir singulier. Il ne s’agit pas de considérer le sinthome comme une suppléance à une forclusion du Nom du Père, concept du début de l’enseignement de Lacan qui a perdu de son tranchant et peut à l’occasion devenir réactionnaire. Nous sommes d’abord partis de nos rencontres cliniques avec des sujets transsexuels ainsi que de la lecture d’autobiographies et avons alors trouvé une affinité avec notre lecture du dernier enseignement de Lacan. Cette lecture que nous proposons est celle du sujet de la jouissance, croisée avec celle du binaire signifiant/pulsion. Le séminaire Le sinthome vise le corps et la pulsion. Il est une subversion à l’intérieur même de l’enseignement de Lacan dont le fondement premier est le signifiant et le Nom du Père. Ce que nous lisons dans Le sinthome prioritairement c’est pour un sujet le primat du laisser-tomber et la captivation par la forme, la prévalence de la voix et du scopique, la définition de la pulsion comme l’écho d’un dire dans le corps, la fonction du comme, la question de la suppléance au phallus (et non pas au Nom du Père) L’avantage que nous trouvons avec la question du sinthome est de mettre en avant une logique du laisser-tomber qui concerne la jointure du signifiant et du corps : qu’est-ce qui fait tenir ensemble un corps dans sa jointure au signifiant ? La question du laisser-tomber, laisser-glisser, est première dans la question du sinthome. Elle est première dans le nouage de ce qui ne fait pas tenir ensemble R, S, I, ce qui ne les fait pas consoner. Ce terme de faire consoner, est bien l’introduction de la voix et du signifiant dans l’affaire pulsionnelle. Dans la séance du 16 mars 1976 Lacan donne la voie pour trouver une orientation qui ne soit pas un sens. Il dit : « Mais l’orientation n’est pas un sens puisqu’elle exclut le seul fait de la copulation du symbolique et de l’imaginaire en quoi consiste le sens. L’orientation du réel, dans mon territoire à moi forclôt le sens » et après avoir indiqué que « la forclusion du sens par l’orientation du réel, eh bien, nous n’en sommes pas encore là », il donne le point nécessaire à l’affaire ; « Il faut se briser, si je puis dire, à un nouvel imaginaire instaurant le sens. » Il précise également que le sens est la copulation du langage avec le corps. La forclusion du sens n’est pas que de langage. C’est avec la clinique du retranchement transsexuel que nous trouvons la spécificité du sinthome : une façon singulière de faire avec la pulsion. La réassignation hormono-chirurgicale touche le corps dans son réel. Il s’agit de retrancher du corps, la pulsion érotique d’origine par l’hormonothérapie puis l’acte chirurgical, de modifier l’apparence du corps dans sa plastique (la peau, la chevelure, la pilosité) et sa sensation (la peau) par l’hormonothérapie. Cela concerne à la fois la pulsion scopique (la jouissance de l’œil), et l’érotisme de la peau. Cette réassignation du corps se noue avec la réassignation signifiante, celle qui touche à l’état civil, le fait d’être signifié « Monsieur » ou « Madame ». Ainsi il sera retranché des papiers d’identité le prénom, le signifiant Monsieur ou Madame qui signait le sexe d’origine. Il se détache d’emblée une orientation de traitement pour le sujet transsexuel qui noue le scopique, la peau, le signifiant de l’autre sexe, le retranchement pulsionnel du sexe d’origine, ainsi que le retranchement du signifiant du sexe d’origine.

     

    Nous avons pris comme cas paradigmatique dans notre thèse de l’« homme se sentant femme  Krafft-Ebing, Psychopathia Sexualis, Paris, Payot,...  » publié par Krafft-Ebing dans Psychopathia sexualis qui a l’immense avantage de décrire un cas très pur au niveau de la clinique, puisque sans traitement hormonal ni traitement chirurgical, ce qui nous permet de voir l’incidence de l’hormonothérapie et de la chirurgie. Il servira de trame de référence à l’exposé de notre thèse.

     

    Les symptômes subordonnés à une logique

     

     

    Le point fondamental qui date de l’enfance est la marque d’un laisser-tomber qui touche le pénis, à la fois signifiant et corps. Le pénis n’est pas porté au symbolique, au phallus. Ce défaut localisé aura des effets à la fois dans le signifiant et dans le corps. Ce qui vient d’emblée dans l’enfance dans le cas du transsexualisme masculin est un sentiment d’harmonie avec les êtres féminins qui fait intégration dans le groupe, lien social. Sur quoi repose cette harmonie ? La beauté des traits, ceux du visage, des cheveux, de la peau et la forme que produit l’habit féminin. Il y a une forme féminine, venue de l’extérieur qui captive, et vient répondre à l’informe du laisser-tomber.

     

    La rencontre avec Gérald, permet de saisir le nouage de jouissance qui fait avènement de corps et avènement de signification dans l’enfance, pare ainsi au laisser-tomber et préside au devenir. Il nous dit avoir trouvé vers l’âge de 3-4 ans un apaisement dans une famille d’accueil en rencontrant une poupée sur un lit. La mère de la famille d’accueil accompagne cette rencontre d’une parole d’amour envers la poupée. Cette expérience pare au laisser-tomber de sa mère, et du pendant du laisser tomber : l’excès de jouissance maternelle qui se présentifie par un regard persécuteur. La conséquence est la suivante : il admire et envie la poupée, sa forme. Puis vient une jouissance autour de l’habit : il imagine qu’il porte un habit comme elle, « Que j’étais bien à sa place à animer les vêtements qu’elle portait sur moi ! ». Cette jouissance de l’œil du sujet pour la forme et l’habit féminin vient retrancher du trop de jouissance maternelle exprimée par un regard persécuteur. La jouissance scopique retranche quelque chose de la jouissance du regard de l’Autre. Le trop de jouissance est ce qui ne peut nouer dans une perte le regard et le pénis. Il reste pour le sujet soit un trop de regard maternel, non symbolisé et non symbolisable, soit un vide.

     

    Face à ce vide, la jouissance scopique autour de la forme venue de l’extérieur et du vêtement qui l’habille vient faire consister un moi. Il indique qu’il commence comme tous les enfants à essayer de s’identifier et pour lui « c’est la poupée, et donc être comme une fille ». Cela reste secret. Le deuxième temps du secret de jouissance concerne la rencontre avec la fille de la famille d’accueil. Cette fille, au moment de faire sa toilette, a déposé ses habits sur le lit. Alors il se met à repenser à ce qu’il avait imaginé avec la poupée, mettre ses habits. Il dit : « J’avais une incroyable envie de les mettre, je ne pensais plus qu’à cela. » Le lendemain, il enfilera un collant : « Je saisis le collant et passais une jambe à l’intérieur. Je ne pourrais vous décrire la sensation que j’ai eue, à cet âge, je ne peux donner d’explication si ce n’est que de me sentir bien, très bien. Comme si mon corps, que j’avais en partie ignoré jusqu’à maintenant prenait un véritable sens, une valeur supplémentaire de bien-être. » Il y a avènement de corps, la jouissance de la peau au contact des vêtements donne sens à son corps. Cette jouissance demeure cachée. Le sujet replacera les vêtements comme si de rien n’était. Un autre nouage avec le scopique se fera le lendemain en voyant la fille de la famille d’accueil faire sa toilette et passer des collants : « J’aurais aimé être une fille pour pouvoir mettre des collants et des robes. Je commençais à prendre goût à la réalité, à ma réalité inconsciente de ce que je suis réellement. » Il y a donc nouage du scopique en voyant la fille jouissant de son vêtement, avec le signifiant fille : le sujet aurait aimé être une fille. Il naîtra ainsi une jouissance de travestissement qui se produit en l’absence de la mère. Il s’agit là d’un point structural capital, réponse au laisser-tomber du Fort-Da. Cette jouissance transsexuelle fondamentale fait avènement de corps et noue le scopique, l’habit féminin, la jouissance de la peau et le signifiant fille. Elle fait également par le truchement du signifiant fille, avènement de signification. Avènement renvoie par l’étymologie à la question de la dignité. Cette question de la dignité sera centrale dans la dynamique du sujet au moment de sa demande d’opération. Le signifiant pénis ne se noue pas au manque, et ce défaut de nouage a pour effet qu’il n’y a pas l’écho habituel de ce signifiant et du dire qui s’y raccorde, dans le corps : c’est l’informe du corps. Face à ce défaut se produit la solution du nouage « scopique-habit féminin-peau-fille » qui fait avènement d’être, avènement de corps et avènement de signification. Cette solution est donc la solution qui pousse le sujet transsexuel vers la vie. Pour autant, un obstacle se dresse : le sujet est signifié garçon par son entourage. Il subit un impératif : « Cela ne convient pas à un garçon. » Ce qui ne convient pas, ce sont « ses manières de fille », qui nous l’avons vu sont la façon qu’a le sujet de tenter de faire lien dans le groupe social. Ce qui ne convient pas est cette jouissance qui a fait avènement d’être et de signification pour le sujet. Le sujet la tiendra donc secrète.

     

    Une jouissance localisée contre un impératif du lien social

     

    Revenons au cas du médecin hongrois. Dans un premier temps et pour longtemps, le sujet va tenter de se soumettre à cet impératif et tenter de « jouer au garçon ». Dans cette expérience très passivée, empreinte de renoncement, sa boussole est cette jouissance de la peau, localisée à un endroit du corps, qui vient au contact d’un habit féminin. Cette jouissance, secrète au regard maternel, répète l’avènement de son être. Elle est tenue secrète pour deux raisons : la moquerie de l’entourage et l’impératif : « Cela ne convient pas à un garçon. » À ceci se greffe ce qui est interprété comme une ambiguïté de l’entourage parental à son égard, à savoir de lui mettre des habits jugés par lui comme partiellement féminins et de le nommer parfois au féminin. Nous avons ici le noyau de la souffrance transsexuelle : l’ambiguïté de l’entourage parental, à l’égard du corps et du signifiant, la soumission à l’impératif « tu es un garçon », la moquerie qui touche au secret de jouissance. Le sujet se pense soit au moment même de l’enfance, soit a posteriori, « comme une petite fille », « en passe d’avoir été une petite fille ». Le « comme » signe quelque chose qui rate, qui « n’est pas tout à fait ». C’est un point qui sera mis en tension dans les moments où l’opération sera mise en question subjective. Le « comme » renvoie au comment donc au ment  J. Lacan, Séminaire Le sinthome, séance du 18 novembre...  : cette place du comme a une fonction par rapport aux trois points mis en évidence précédemment (ambiguïté, impératif, moquerie) et au-delà concerne la fonction de la jointure entre le corps et le signifiant. Etre « comme une fille » ou « être comme un garçon » va être la question autour de laquelle le sujet va osciller, va être poussé d’un côté ou de l’autre. L’ambiguïté et la moquerie ont pour effet de renforcer de façon constante la tentative de consentir à l’impératif, à la contrainte sociale, et ainsi de nouer le signifiant « garçon » à son corps et à sa sensation de corps. Pour cela il est nécessaire de retrancher du nœud le signifiant « fille » qui avait fait avènement d’être. Cette tentative de se séparer de « fille » est renforcée par l’attitude des filles qui lorsqu’il « joue au garçon » le considèrent toujours « comme une fille », syntagme qui va le suivre cruellement pendant cette période. Placer « garçon » à la place de « fille » dans le nouage a un effet sur le corps. Si pour tenter d’être comme un garçon il revêt un pantalon un évènement contraire à la jouissance de la peau et de l’habit qui avait fait avènement d’être. Il s’en suit une gêne dans le bas du ventre. Le consentement à l’impératif signifiant « tu es un garçon », le retranchement du signifiant fille, aboutit à un malaise énigmatique dans le corps.

     

    Cela est typique du malaise transsexuel dans l’enfance et avant l’opération. S’il varie dans son sentiment et essaye d’en être dit garçon, en accord avec son sexe anatomique, un malaise dans le corps se pointe. Après une opération du sujet sur le signifiant pour tenter d’ôter le malaise vient un phénomène dans le corps qui fait malaise. Ainsi s’organisent les oscillations quant à la conviction de l’identité sexuelle. Le sujet ne fait pas lien alors avec l’organe viril. Si l’obstacle du signifiant fille est levé, vient l’obstacle du corps, en tant que manifestation non symbolisée du signifiant pénis. Que faire avec cette énigme pulsionnelle qui est nommée plus tard par le sujet défaut du corps, erreur de la nature ? Le comme une fille revient alors pour lever l’obstacle. Ainsi pour faire face à un défaut de performance corporelle dans le groupe des garçons à l’école, lors de l’activité sportive, il trouvera la solution de s’acquitter du mouvement « comme les petites filles ». Cette solution qu’il garde secrète dans sa pensée, explique en partie le fait que le sujet a le sentiment certain de préférer être une fille.

     

    Préférer être une femme est raccordé en priorité à « avoir la forme de la femme », le scopique qui pousse vers la vie, et à « avoir les vêtements, l’habit d’une femme », qui noue le scopique à la peau. Ce qui insiste, et de façon contradictoire, est la passivité du sujet. Cette passivité le conduit à se conformer à l’impératif jusqu’à très tard dans la trajectoire transsexuelle. Ainsi s’expliquent le refus de se montrer à l’extérieur en femme ayant peur d’être moqué, devenir déchet du regard de l’Autre ou bien les contradictions du sujet, qui alors même qu’il peut se confier sur sa préférence à être femme, tente paradoxalement d’être viril, de fumer, de boire et de draguer. Ce qui aboutit à un échec puisqu’il est à nouveau traité par les femmes comme une femme !

     

    La jouissance de l’organe pénis

     

     

    Ce qui est manifeste dans l’enfance des sujets transsexuels est que le lien entre différence sexuelle, être dit fille ou garçon, et présence ou absence de pénis, ce qui noue le regard, l’organe et le signifiant, est fait très tardivement. La jouissance du pénis qui apparaît avec la masturbation et qui persécute le sujet est rattachée régulièrement à l’initiative d’un autre. Quelqu’un a initié le sujet à la masturbation. Que l’initiative vienne d’un autre et devienne persécution en marque le caractère forclos. La pulsion persécute. Quel en est l’effet ? Le sujet est divisé, il se sent pour la première fois du côté de la sensation corporelle, dans son corps, un être double, masculin, féminin. Il se ressent dans son corps à la fois masculin : c’est l’activité pénienne, féminin : c’est la jouissance transsexuelle, qui se produit en cachette, nous l’avons souligné, mais qui est également le point d’origine de la transformation en femme. Le point de départ de la transformation est la jouissance scopique : c’est en voyant une femme et son habit que le sujet acquière la sensation du corps féminin, la sensation de la peau. La captivation scopique pousse le sujet à acquérir cette sensation érotique du corps féminin et l’envie de se produire dans l’habit d’une femme. Cette jouissance scopique vient en réponse au laisser-tomber qui concerne l’être du sujet, le vide. Elle vient en réponse également à un trop, un trop de jouissance scopique qui tombe sur le sujet du fait que le regard ne fonctionne pas comme castration, le regard n’est pas perte mais trop. L’arrivée du pénis comme organe de jouissance a pour effet la division du sujet. L’arrivée du coït avec une femme pour tel sujet a pour effet un glissement subjectif : pendant le coït, il est traité comme s’il était La Femme, Elle, comme si Il était Elle. Le « comme si » vient de l’autre et non pas du sujet.

     

    La bascule de la fonction du masque et ses conséquences pulsionnelles

     

     

    La mise en action de la pulsion virile a comme conséquence un changement quant à la fonction du masque : avant, le masque est féminin, après, il est masculin. Avant le masque a pour fonction de mettre un visage féminin au sujet, ce qui aurait pour effet de soustraire la masculinité et de pouvoir paraître « femme » sans ambiguïté. C’est la solution de nouer au signifiant fille, la peau, l’habit et le scopique. Après, il s’agit d’une question de jouissance du corps, de sensation : il a un masque d’homme, son corps en tant que viril, qui habille une sensation féminine. L’expression de la virilité n’est plus une tentative de se conformer à l’impératif, « tu es un garçon » mais est devenu un masque dont il conviendra à terme de se débarrasser. Cela nécessitera du temps et beaucoup d’élaboration dialectique entre le signifiant et la pulsion. En effet, le sujet du signifiant ne consent pas à la féminisation : De son corps, il ne pense pas pouvoir en être dit femme. Ainsi, le sujet marié se stabilisera pensant être un homme désaccordé. Il remplit le rôle d’une femme sous la forme d’un homme, notamment pendant le coït. La paternité, la venue d’un enfant et le « supplice de l’accouchement de sa femme » provoquent un destin pulsionnel particulier. L’énigme pulsionnelle, la gêne de l’organe se précise : c’est le supplice de la douleur masculine dans le corps. Elle vient sous la forme de la maladie de la goutte (maladie surtout masculine) qui enflamme les jointures articulaires et produit une excroissance. Cette maladie masculine de la jointure produit chez lui un affaiblissement anémique, interprété comme féminin. Ce qui touche la jointure est interprété comme masculin ou féminin. Face à l’anémie, il prend du fer, élément masculin, car sinon il aurait sombré dans l’hystérie féminine ! De même, il ressent une féminisation de l’organe, la prostate, qui gonfle à l’intérieur de son ventre. Il y a une lutte intense entre ces sensations de corps, interprétées comme masculines et féminines. Cette lutte paraît incessante, sans fin, dépourvue de sens. Cela mène le sujet aux bords de la folie des oscillations de pensée et aboutit à une crise d’arthrite, une crise des articulations, une crise de ce qui fait tenir ou pas un corps ensemble. Quelle solution cherche le sujet ? Il cherche à soigner son corps par le bain régulier, soit la sensation qui touche la peau. C’est là que se produit la bascule décisive vers la transformation en femme. Avec l’excitation de la peau, vient la sensation de la mort, il se précipite hors du bain, il a senti la libido comme une femme. Il a une excitation de la peau en lui, même si le stimuli extérieur, l’eau, n’est pas présent. Cela vient signer le temps essentiel, celui de pouvoir se montrer à l’extérieur en femme. Il est un corps nu qui sort du bain au regard de l’Autre. Le regard envahit toute la peau du sujet, la jouissance scopique envahit la peau-toute. Cela marque le temps logique où le retranchement solitaire pour jouir de ce qui lui fait avoir un corps n’est plus suffisant : le regard des autres produit un effet de jouissance qui doit être validé. Il y a un passage de la jouissance localisée d’un vêtement féminin sur la peau à une jouissance-toute de la peau par le regard. La peau présente ainsi une fonction essentielle dans la bascule vers la féminité. Elle est un pousse à passer vers l’autre sexe dans son raccord à la jouissance scopique. Une fois franchie cette étape d’avoir ressenti la libido comme une femme, par la peau, il reste deux obstacles pour la transformation : le signifiant, garçon, et le corps, l’absence de seins et la présence du pénis et des testicules.

     

    La transformation en femme

     

    Cet envahissement de jouissance dans tout le corps que le sujet interprète comme féminine est contemporain d’une abolition de la parole, du signifiant. Le sujet ne peut rien en dire. La transformation en femme est incontestablement la sensation d’une transformation corporelle. Ce bouleversement est interprété après coup comme la conséquence d’un désir d’un homme envers lui, ce qui signifiait bien pour lui qu’il avait l’âme d’une femme. La pulsion envahissante est donc ainsi nouée au signifiant « femme » par l’interprétation du sujet d’un dire qui vient de l’Autre. Dans la suite logique vient un savoir sur la mort, la mort du signifiant « garçon » en lui : ce signifiant est définitivement retranché d’une tentative de nouage, ce signifiant ne fonctionne plus pour le sujet. Cependant la pulsion virile, l’érection du pénis, est toujours présente. Cela a pour conséquence la persistance d’une confusion, l’être double. Il confond encore le mal-être lié au signifiant, pouvoir ou pas en être dit femme, avec le mal-être pulsionnel viril. La solution est que s’impose pour lui la contrainte (Zwang) de la sensation d’être femme qui devient plus forte. Ce qui est le plus fort, car poussant vers la vie, est le nouage premier « regard-peau-habit féminin ».

     

    La fonction de la peau est donc essentielle dans le développement vers la transsexualité permettant de nouer « regard » et « habit féminin » au niveau de la jouissance. Elle est ce qui donne jouissance du corps à la forme féminine qui a captivé le sujet et donne vie au sujet après le laisser tomber dont il a été l’objet. Ce laisser-tomber est le laisser tomber du signifiant pénis et de son écho dans le corps. La peau passe d’une jouissance localisée du corps, qui est présente dans l’enfance vers l’âge de 3 ans, à une jouissance de l’ensemble de la peau, à l’âge adulte. Ce phénomène est essentiel et est contemporain de la position « hors de », se faire voir en public en femme. Ce nouage qui « pousse à jouir », dans le cas présent du transsexualisme, pousse aussi vers la vie. Il est nécessaire de se raccorder au signifiant « femme » pour que cela tienne.

    La Verwerfung du pénis et la question de la psychose

     

    Ce qui organise de façon claire le phénomène transsexuel est le destin pulsionnel particulier lié au laisser-tomber du sens de pénis, copulation du signifiant et du corps. Il y a une énigme pulsionnelle, absence d’écho d’un dire du fait de la Verwerfung du pénis. Le destin pulsionnel lié au pénis ne se noue pas à phallus, il ne peut en être dit pénis dans la fonction phallique. Il y a forclusion d’un dire, pour faire référence au séminaire … Ou Pire. Le laisser tomber concernant l’organe a pour effet de placer le sujet dans une position de déchet, quelque chose qui pousse vers la mort subjective dans le regard de l’Autre et de façon contemporaine de provoquer une pulsion énigmatique, étrangère et inquiétante. Ce laisser-tomber du pénis qui ne se noue pas à phallus, a pour effet de mettre en avant la peau. Face à cette aporie, le sujet choisit la jouissance dite transsexuelle qui pousse à terme vers la vie et la dignité. Nous avions vu par ailleurs que l’un des points critiques était la question de la psychose. La mise en évidence d’une forclusion localisée, Verwerfung du pénis, doit-elle avoir pour conséquence de ranger les transsexuels parmi les dits psychotiques ? Lacan a certes orienté le transsexualisme dans une confrontation à la psychose. En 1958, dans « D’une question préliminaire à tout traitement possible pour la psychose   J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement...  », il indique que la structure qu’il dégage, la forclusion du Nom du Père, éclaire l’exigence transsexuelle à être opéré. Il prélève le signifiant transsexualiste pour parler de la jouissance transsexualiste du Président Schreber, puis en 1971 dans son séminaire, il parle au sujet des cas décrits par Stoller de forclusion lacanienne et surtout dans la séance du 8 décembre 1971 de … Ou pire, il dit que le transsexuel ne veut plus d’un signifiant et non pas d’un organe, que le signifiant est jouissance, que le sujet transsexuel ne veut plus être signifié phallus. L’évolution de Lacan passe donc de forclusion du Nom du Père à forclusion lacanienne puis à refus. La psychose est pour autant régulièrement évoquée par la plupart des Lacaniens et du coup donne lieu à un rejet, une condamnation quant à l’opération qui ne tient pas toujours compte de la position des sujets.

     

    Ainsi à partir de la confusion organe-signifiant, Geneviève Morel écrit : « La folie (du transsexuel) est de se tromper de but : viser l’organe au lieu du signifiant, à cause de la jouissance. C’est pourquoi établir le diagnostic de psychose est si important. Répondre à ces sujets en accédant à leur demande de chirurgie pose un problème éthique, car le discours médical se fait alors, en quelque sorte l’instrument de la psychose. C’est bien une variante de l’automutilation – fréquente dans la psychose – mais déguisée en normalité, qu’exige le transsexualiste au nom d’une supposée liberté de chacun à disposer de son corps, et de son droit à bénéficier d’une réparation par la société de l’“erreur de la nature   G. Morel, « Le transsexualisme et la classification... ”. » Ces propos qui condamnent (le terme de transsexualiste ne peut être vécu que comme péjoratif) ignorent deux points cliniques : le premier est que le signifiant est aussi jouissance, le second que l’organe persécute. Nous avons montré que là où ça jouit du sujet n’est pas l’affaire d’un Autre jouisseur persécuteur tel que Dieu pour Schreber. Là où ça jouit de lui est le lieu de la jointure entre le signifiant et le corps, jointure où se brisent l’imaginaire et le sens si nous saisissons ce qu’évoque la lecture du Sinthome. Ce qui jouit de lui est l’interprétation du défaut de copulation entre le Symbolique et l’Imaginaire de la jointure, effet d’un laisser-tomber d’un signifiant, pénis. Cela a des effets dans le signifiant et dans le corps : un sentiment d’étrangeté pulsionnelle, une pulsion qui ne se raccorde pas à phallus, un sentiment d’étrangeté du signifiant, le signifiant garçon. C’est ce qui jouit de lui, le persécute au sens commun du terme, ce qui le suit de façon cruelle. Il s’agit d’une forclusion localisée, un dire n’a pas d’écho dans le corps, nous proposons d’utiliser le terme de retranchement pour nommer le phénomène clinique placé à la jointure du signifiant et du corps. Si l’on suit l’enseignement de Lacan de façon rigoureuse, il est remarquable qu’il a utilisé le concept de forclusion – Verwerfung, dans d’autres contextes cliniques que celui de la forclusion du Nom-du-père et de la psychose. Il a continué à utiliser Verwerfung jusqu’à la fin de son enseignement. Classer le transsexualisme dans la nosographie psychotique enferme les sujets transsexuels dans un jugement qui rejette et condamne, qui n’est pas sans lien avec la Verwerfungurteil repérée par Freud, commentée par Lacan comme étant le pendant pour Verwerfung de ce qu’est Verneinung pour Verdrängung.

     

    Perspectives

     

     

    Le transsexualisme dans sa rencontre clinique offre un gain de savoir sur un certain nombre de concepts, tels que forclusion, forclusion d’un dire, forclusion du sens, sinthome ou phallus. Ainsi la forclusion avec le sinthome devient forclusion de la jointure entre le signifiant et le corps. Nous avons proposé dans notre thèse le terme de retranchement pour la signifier. Ce gain de savoir est renforcé avec l’étude du transsexualisme féminin qui renvoie à la même logique de retranchement. S’il n’y a pas symétrie clinique avec le transsexualisme masculin (plutôt qu’un trop de jouissance de la mère, c’est un trop de jouissance du père qui se manifeste) il y a par contre unité logique à partir de la même forclusion localisée. Nous pensons que les repères psychanalytiques que nous avons trouvés permettent un repérage précis quant à l’évolution subjective du sujet transsexuel dans son parcours et permettent de saisir les différentes incidences du traitement hormono-chirurgical. Une pratique psychothérapique est parfois demandée avant ou après l’opération, ou bien encore en dehors de toute chirurgie. Nous pensons que les repères établis permettront de traiter par le signifiant et le transfert les interprétations du sujet concernant le défaut de jointure entre le corps et le signifiant. Le transsexualisme permet une lecture autre que celle du sens commun. Touchant électivement la forclusion du sens, forclusion de la copule entre le signifiant et le corps, il permet la déconstruction de la question de l’imaginaire à partir du plus de jouir scopique, orientation du réel. Cette question de l’imaginaire, rappelons-le, était la question sur laquelle venaient se briser la problématique de démembrement du syndrome, la théorie du gender, ou bien les avancées de l’enseignement de Lacan. Cette avancée vers l’orientation du réel à la jointure du signifiant et du corps, évoquée par Lacan dans son séminaire, a une incidence possible sur les concepts, Begriff, ce qui se prend par la main et fait tenir ensemble. Cette lecture nouvelle permet de saisir l’outil du sinthome dans divers registres cliniques issus de défenses envers le réel, Verdrängung, Verwerfung, notamment quant à la subordination logique des symptômes. Elle interroge également dans la rencontre clinique : qu’est-ce qu’en être dit psychotique pour un sujet ? Elle permet aussi d’appréhender les symptômes de la civilisation contemporaine : logiques du primat du show, du retranchement psychique avec ses composantes d’effacement, de distorsion du souvenir, d’exclusion et de condamnation.

     




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