• On tue des trans'. dans le silence ?

    On tue des trans’. Dans le silence?

     

     
    Par Louis-Georges Tin

       Chaque année, le 20 novembre, est célébré le TDOR, le Trans Day of Remembrance. Du coup, vendredi dernier et pendant tout ce weekend, des actions ont eu lieu dans plusieurs villes du monde entier, pour célébrer la mémoire des personnes trans’, transsexuelles ou transgenres, qui ont été victimes de passages à tabac, de viols, de meurtres, etc. Sur Internet, plusieurs vidéos (cliquez ici, ici ou là) tentent de donner quelque idée de cette violence effrayante, dont on ne parle guère.
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        En France aussi, le TDOR a été célébré: le festival Chéries-Chéris a organisé une séance spéciale à Paris, au Forum des Halles, autour du film de Kirsty Macdonald, Assume Nothing; à Lyon, l’association Chrysalide a organisé avec la LGP de Lyon et le cinéma Écrans Mixtes une projection débat sur la transidentité, autour du documentaire de Cynthia Arra et Melissa Arra, L’Ordre des mots. A Strasbourg, Rennes, Montpellier, Lille, Nantes, Aix-en-Provence ou ailleurs, des actions de toutes sortes ont eu lieu.

        Les agressions physiques sont sans conteste le chapitre le plus sinistre de la transphobie internationale. Or bien souvent, la police bâcle les enquêtes, voire refuse de s’y intéresser, surtout lorsqu’il s’agit de personnes prostituées. Pire, il arrive que les policiers participent eux-mêmes aux violences: ils vont parfois jusqu’à soumettre les trans’ au chantage sexuel, en les menaçant de prison, comme le montrent les rapports d’Amnesty International. Dans ces conditions, la police s’avère peu disposée à lutter contre les agressions transphobes. Dès lors, la justice n’intervient guère. Les dossiers sont classés. La violence continue. Dans le silence.
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        Malheureusement, la presse ne couvre guère ces violences ordinaires. Quand elles ne sont pas tout simplement écartées, ce qui est le cas le plus fréquent, les mises à mort sont souvent évoquées dans les brèves, et ne sont pas désignées comme telles. Elles sont présentées comme des faits divers plus ou moins obscurs, qu’on expédie en trois ou quatre lignes, dans l’indifférence générale. Or cette violence a un nom: il s’agit de transphobie. Et c'est pourquoi nous avons choisi ce thème en 2009 pour la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Le mot est important, et cette invisibilité, même après la mort, renforce la violence subie pendant la vie.

        C’est cette réalité tragique et cette absence de visibilité dans les médias qui ont incité les ami/es des victimes à créer le TDOR en 1999, le Trans’ Day Of Remembrance. Ils ont créé un site internet qui s’intitule «Remembering our dead», mémorial funèbre où s’égrène la liste interminable des noms de celles et ceux qui, par centaines, sont tombés sous les coups de leurs bourreaux dans ces dernières années, aux États-Unis.

       A défaut de pouvoir empêcher les crimes, on tente du moins d’en garder quelque trace. C’est aussi ce à quoi travaille le Trans Murder Monitoring Project. Pour autant que l’on puisse se fier aux chiffres, nécessairement lacunaires, entre janvier 2008 et juin 2009, la région la plus sinistrée fut l’Amérique: 82 meurtres transphobes perpétrés au Brésil, 20 au Vénézuéla, 16 aux États-Unis, 11 en Colombie, 10 au Guatemala, 10 au Mexique, 5 au Honduras, 3 en Argentine, et 3 en République dominicaine.

        Le film qui fit le plus pour connaître la violence transphobe est sans doute Boys don’t cry, réalisé par Kimberly Peirce en 1999, et qui raconte l’histoire (vraie) de Teena Brandon, devenue Brandon Teena, jeune homme transsexuel, frappé, violé et assassiné, en raison de son identité de genre. Hilary Swank reçut l’Oscar du meilleur rôle féminin pour son interprétation remarquable, mais la pierre tombale de Brandon conserve sa mémoire toujours au féminin: l’épitaphe évoque notre «fille, sœur et amie», dernier outrage fait au défunt après sa mort.

        En France, le seul exemple qui ait un tant soit peu ému l’opinion publique est le meurtre de Jean-Pierre Humblot, à Nancy, en 2003. Cet homme travesti fut tabassé par deux jeunes gens, puis jeté à l’eau où se noya. Les deux agresseurs expliquèrent qu’ils faisaient partie d’un groupe qui avait l’habitude d’agresser les homosexuels… «pour s’amuser». Mais la police n’avait jamais arrêté personne. L’affaire suscita une certaine émotion dans la région, car l’association Homonyme se saisit de l’affaire, poussant le maire de la ville à déposer une plaque à l’occasion du 17 mai 2005, journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Mais là encore (et ce fut souvent le cas dans l’affaire de Brandon Teena), ce meurtre fut souvent présenté comme une violence homophobe, là où il faudrait parler aussi, si ce n'est avant tout, de transphobie.

         Enfin, la dernière violence physique qu’il faudrait évoquer est… le suicide. En effet, stigmatisées, discriminées, rejetées, harcelées, les personnes trans’ sont souvent acculées aux dernières extrémités, et en particulier les jeunes, naturellement plus vulnérables. Selon l’enquête réalisée par HES et le Mag, 34% des jeunes trans’ déclarent avoir déjà fait une tentative de suicide… Le ministère de la Santé a réalisé récemment cinq courts-métrages remarquables, qui tentent de lutter contre l’homophobie, et le suicide des jeunes homosexuels; j'ai moi-même fait partie du jury chargé de sélectionner les scenarii; mais ne faudrait-il pas que les autorités publiques, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, par exemple, fassent de même pour lutter contre les violences transphobes en France? Jusqu'ici, aucune action d'ensemble n'a jamais été entreprise. N'est-il pas temps d'affronter ce problème?
    Sources:http://observatoire2. blogs.liberation.fr/normes_sociales/2009/11/dans-le-silence-on-tue-des-trans-.html

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